Traverse de BRETENOUX

Une belle aventure

Ce projet a connu une gestation de 7 ans et il n'a été réalisé qu'en 4 mois!

C'est en 1993, que le Maire de Bretenoux me parle de son projet. Je viens de réaliser pour cette Commune la conception du centre d'un rond-point et il souhaite se lancer dans la réfection de la traversée du Bourg.

Bretenoux est une des Bastides du Sud-Ouest. C'est à dire une de ces villes nouvelles créées au Moyen-Age, par un acte fondateur (le Paréage) d'un Seigneur ou d'un Prince de l'Eglise. Si elles sont si nombreuses dans le Sud-Ouest, c'est qu'elles sont stratégiques, durant la Guerre de Cent Ans, pour fixer les lignes anglaises et françaises qui se font face.

Elles sont conçue sur la base d'un plan orthogonal (les rues se croisant à angle droit) qui dispose une trame de parcelles égales. Des règles de construction, telles que la non-mitoyenneté ou la construction en couvert autour de la Place centrale, s'y appliquent. L'Eglise elle-même occupe l'un des lots. Elles sont souvent fortifiées, ce qui est le cas à Bretenoux.

En l'occurrence, la route départementale qui traverse la ville actuelle, longe cette fortification et se prolonge en un faubourg de facture plus récente. C'est un joli capharnaüm, aucun trottoir n'est à la même hauteur ni même au même recul, les voitures occupent tout l'espace, se garant en épi et en pente vers les façades. La voirie est sans cesse encombrée, on y circule très mal et en plus, on ne s'aperçoit même pas que l'on passe à proximité d'un magnifique patrimoine. Tout le monde se plaint, usagers, commerçants, touristes, etc.

Le Maire, qui connait mon intérêt pour l'urbanisme, me demande de réaliser d'abord une petite étude de diagnostic. 

Selon un règle bien admise, il faut d'abord séparer les flux et leur attribuer on espace raisonnable. En l'occurrence, restreindre la bande roulante pour la canaliser, déterminer les zones de stationnement et réserver l'espace piétonnier en en sécurisant les cheminements.

L'espace est très important (très large) entre la façade de la Bastide et l'autre coté de la chaussée. Au point, qu'un Architecte des Bâtiments de France à qui nous présentions une première esquisse, contemplant cet espace du premier étage de la Mairie, s'est écrié : "Mais il s'agit de la Place du village! Ne voyez vous pas que, tant par ses proportions que par ses usages, il s'agit là du coeur du village, que vous devez traiter comme tel". De fait, alors que j'avais commencé à envisager la réalisation de contre-allées, très consommatrices d'espace au profit des voitures, j'ai par la suite repoussé celles-ci le long de la circulation, pour dégager de vastes trottoirs, traités comme d'une place publique.

Ce projet a fait l'objet, de par la volonté du Maire d'une véritable concertation publique. Nous sommes revenus trois fois devant les habitants (électeurs). Une fois, en capitulant devant les protestations, des commerçants surtout, qui ne voulaient pas qu'on supprime un sens de circulation - au risque de leur faire perdre une partie de leur clientèle... Une autre fois, en Conseil municipal, où l'un de leur représentant siégeait, il m'a aussi fallu accepter ce que je savais être une con... et que l'on ne manque pas encore de me reprocher - pour lui assurer une place de stationnement supplémentaire devant son pas de porte. Depuis, il est parti, la con... subsiste mais au moins cela constitue t'il une chicane qui ralentit la circulation et qui est finalement assez bien supportée.

Au niveau des traitements de sol, on a procédé, tout au long du linéaire, en fonction de la qualité et de la nature du bâti riverain. Ainsi, le long de la Bastide proprement dit, nous avons choisi un traitement de qualité, tout en pierres calcaires, pour le revêtement des trottoirs, jusqu'aux bordures et à leurs caniveaux. Pour la zone dense du faubourg, on a choisi un traitement de moindre coût et d'aspect plus sobre, en béton désactivé et en bordures industrielles teintées et granitées. Enfin, au confins du bourg, là où le bâti n'est plus aussi dense, les trottoirs sont en simple enduit goudronné garni de gravillons calcaire clair.

La zone la plus large, devant la bastide était jadis plantée d'un mail d'immenses platanes dont la plus part avait fini par crever, il n'en restait plus que trois ou quatre, mais bien sûr, ç'eut été un drame que de démolir ces pauvres vestiges. J'étais personnellement très attaché à cet ensemble magnifique et c'était bien dans mes intentions de le restaurer. Nous en avons planté 18 (!) qui progressivement remplaceront par leurs ombrages, les arbres creux et complètement pourris que nous avons démolis.

Un autre point délicat - qui gênait le Maire - c'était le Monument aux Morts, disposé en bordure d'un petit square, à coté de la Mairie. Il se trouve que pour les cérémonies, la foule se pressait devant le Monument en empiétant sur la chaussée - ce qui ne manquait d'être dangereux, que ce soit pour les enfants ou pour les personnes à mobilité réduite. Il su convaincre sa population que ce parc garni pourtant de magnifiques et grands arbres (dont un cèdre du Liban...) devait être transformé en parc de stationnement pour le personnel de la Mairie et que le Monument, reculé au centre de la parcelle, serait mis en valeur par un parvis autrement confortable. Quant il fallu sangler le monument - haut de quatre mètres, avec colonnes et chapiteaux corinthiens - et le trimbaler au bout d'une grue de 20 tonnes pour le reposer 15m plus loin... J'en menais pas lourd!

Enfin, il fallut prescrire un mobilier urbain qui devait avoir plusieurs fonctions. D'une part rythmer les séquences de vue sur l'intérieur de la Bastide, tout en indiquant les différents commerces qui s'y trouvent, d'autre part assurer les commodités courantes (poubelles, parc à vélo, affichage public) et garantir la protection des espaces piétons (bornes), sans oublier les bancs publics.

Or, il se trouve que ce ne sont pas les mêmes métiers. Il y a ceux qui font le mobilier urbain (et encore pas tout) et ceux qui font la signalisation (routière et informative). Il m'a fallu faire preuve de pédagogie et de persuasion pour engager un professionnel dont c'était quand même l'intention à moyen terme, de se lancer dans l'aventure. Par contre, pour les clôtures ou en tout cas les garde-corps qui devaient protéger les points les plus exposés, j'ai exploité un modèle vernaculaire qui se rencontre encore sur le Causse. Avec les fers plats qui devaient être anciennement des courroies de transmission de je ne sais quel engin agricole, on a tressé, dans un cadre de cornières, une jolie vannerie métallique, ajourée, rouillée à souhait et très esthétique.

Le chantier s'est déroulé en quatre mois, mené de main de maître par une entreprise très sure d'elle. Et heureusement, parce qu'il y a eu une semaine particulièrement épique. Cette route aboutit à un pont, pour franchir la rivière qui borde un autre coté de la Bastide. Quand il a fallu défoncer la chaussée sur un mètre de profondeur aux abords de ce pont, sans déviation possible, il s'est formé un bouchon mémorable. Un soir, c'était en décembre, un gars plutôt rigolard m'a téléphoné pour me raconter qu'il était depuis une demi-heure dans ce bouchon et comme il avait eu le temps de voir mon numéro sur le panneau de chantier, il a voulu me faire partager ce moment, perdu pour lui... et me le faire perdre, à moi aussi!!!

En guise d'épilogue: le chantier s'est achevé la veille des élections municipales. La liste du Maire est passée intégralement, sans coup férir. Il faut dire qu'entre le début des études et la fin du chantier, le Maire est devenu Député de la circonscription - ce qui a bien aidé au financement d'une partie de l'opération. Nous sommes devenus très amis, et un après ce chantier, il me confiait, dans un tout autre registre, la direction de sa campagne électorale.

J'ai par la suite réalisé un autre rond-point, à l'autre bout de cette route, de sorte à parachever l'aménagement de ces espaces publics.

Je pense que c'est une réalisation qui apporte de nombreuses solutions aux mille et un petits soucis que suscite l'espace public.

L'atmosphère de la cité en est pacifiée, agréable, commode et la vie sociale ne s'en est que mieux épanouie.